Crise du logement par Abdelhak Lamiri
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Crise du logement par Abdelhak Lamiri
Crise du logement :quelles solutions pour un épineux probléme?
Cette question est au
centre de la politique
sociale du pays. Elle
empêche aussi bien
les citoyens que les
responsables de dormir.
Chacun y va de ses réflexions.
Le plus souvent on entend des
commentaires suivants :
- Il faut construire un million de
logements tous les cinq ans pour
prétendre résoudre le problème.
- On ne maîtrisera la situation que
lorsque on n’octroiera des habitations
qu’aux personnes nécessiteuses.
COMPLEXITÉ DU PROBLÈME
Lorsqu’on est en face d’un problème
d’une telle ampleur, il y a de
quoi être modeste. On ne doit pas
prendre ses préjugés pour des
vérités. Alors que faire ? Il faut examiner
les statistiques, les schémas
scientifiques et les expériences de
pays qui ont pu juguler, en grande
partie, ce phénomène. Par la suite,
il y a lieu d’essayer de profiter de
ce catalogue de possibilités pour
en extraire quelques leçons pertinentes
à notre contexte économique
et politique. Nous allons examiner
les statistiques d’abord
avant d’analyser les comportements
humains liés à la question.
Nous allons donc examiner l’offre
et la demande.
Commençons par cette dernière.
Nous avons 350 000 nouveaux
mariages chaque année. Ce sont
donc des besoins nouveaux. Pour
un parc de logements de la taille
de notre pays, vu la vétusté des
équipements, nous aurons, selon
de nombreux experts, un minimum
de 290 000 habitations qui
deviennent inhabitables. Par
ailleurs, nous avons un déficit
approximatif de 3 000 000 de
logements. Les décès et phénomènes
de départ libèrent quelque
90 000 logements par an. Nous ne
comptabilisons pas les changements
de domicile, les mutations
et autres qui accentuent la demande.
D’après ces données, nous
devons construire 700 000 logements
par an pendant vingt ans
pour espérer régler le problème.
On peut se quereller indéfiniment
avec des chiffres, mais on arrivera
à 15 ou 20% de plus ou de moins
au maximum vu l’imprécision des
données. On peut également
diverger sur le nombre de logements
qu’il est possible de
construire en Algérie en mobilisant
surtout les capacités nationales.
Mes discussions avec les experts
sur cet aspect ont été frustrantes,
car les estimations ont varié de
80 000 à 220 000. Quel qu’il en
soit, le problème est là : la réalité
est têtue. Avec les politiques économiques
suivies depuis quarante
ans, le problème devient de plus
en plus explosif et il est impossible
de le résoudre avec les pratiques
actuelles malgré toutes les bonnes
volontés et les énormes moyens
mobilisés.
Avant de préconiser des alternatives
de solutions, voyons tout
d’abord les causes avancées
comme explication «rationnelle»
au problème du logement.
AUX ORIGINES DE LA CRISE
La première a trait à la distribution
; à en écouter certains, une répartition
plus équitable des logements
aurait solutionné le problème. Ne
constatons-nous pas des milliers de
logements vacants ou distribués à
des nantis alors que de nombreuses
familles sont entassées dans des
bidonvilles et souffrent sans
espoir ? Cette explication est tellement
chargée et décrit des situations
si visibles à tout citoyen
moyen qu’on y adhère rapidement
avec tout son coeur. Mais la réalité
est têtue. Le phénomène est réel.
Mais il est loin de constituer le
coeur du problème. Soyons naïfs et
supposons que les Algériens ont
découvert une recette miracle de
distribution équitable d’un bien
(logement) sans utiliser les mécanismes
de marché (soit dit en passant,
il faut vite le breveter car le
reste de l’humanité en a grandement
besoin). Il reste quand même
l’écart entre offre et demande qui
se situe à plus de 500 000 unités
par an. Sans nul doute qu’une
répartition plus équitable aurait
allégé le problème. Peut-être que
50% des attributions sont fantaisistes
et auraient dû servir à alléger
les détresses des citoyens les plus
nécessiteux. Nous aurions ainsi
soulagé les souffrances de 100 000
citoyens par an qui sont vraiment
dans le besoin. Mais il reste que la
vaste majorité du problème
demeure et que nous avons seulement
allégé très partiellement, au
lieu de régler le problème.
Notre seconde observation est
celle de l’économiste. Les principes
économiques enseignent que dès
qu’un bien ou un service est soustrait
à la loi de l’offre et de la
demande, il réintègre le marché
des transactions politico-administratives.
Ce sont des tractations de
coulisses, le trafic d’influence, le
népotisme et le favoritisme qui
prendront inévitablement le relais.
Créer des commissions et définir
des critères d’accès au logement
social ne régleront sûrement pas le
problème. Dès lors que les demandeurs
sont de loin supérieurs au
nombre d’appartements disponibles,
ce seront les citoyens les plus
proches des centres de décision ou
qui octroient ou sont capables
d’offrir des faveurs en retour qui
bénéficieront en priorité de ces
biens. Aucun pays n’a pu trouver
le moyen d’empêcher le marché
du trafic d’influence de se substituer
au marché économique.
La problématique du logement
réside dans une offre peu élastique
aux multiples incitations envisagées
et une demande ou le segment
non solvable (logement
social) attire les préférences des
décideurs administratifs et politiques.
Il y a un dysfonctionnement
dû à la faiblesse des mécanismes
d’incitation du côté de l’offre et un
pouvoir d’achat relativement bas
par rapport à la structure des
moyens de production. La plupart
des entreprises nationales sont
équipées pour construire principalement
des habitations de standing
moyen (logement HLM), alors que
la demande est principalement
constituée des sans revenus et des
familles qui disposent de salaires
assez bas : il y a un grand
déphasage entre la structure de
l’offre et celle de la demande.
Cette observation nous sera capitale
dans les recommandations qui
suivront, car toute politique de
l’habitat consistera nécessairement
à la mise en place d’une adéquation
plus judicieuse entre les structures
de l’offre et de la demande.
Eu égard à toutes ces considérations,
faut-il abandonner le logement
social ? Quelle politique de
l’habitat devrons-nous
poursuivre ?
POLITIQUE DE L’ASSISTANAT
Les pouvoirs publics s’obstinent à
vouloir préserver les choix sociaux
sans pour cela opérer des mutations
profondes au sein des structures
de l’offre et de la demande.
Nous pouvons prévoir sans peine
les conséquences de pareilles
orientations : le déséquilibre ira
grandissant. N’oublions pas la réalité
statistique. Une politique de
l’habitat qui continue de traiter les
symptômes et d’alléger le fardeau
sans viser un horizon d’équilibre
aboutira à une impasse. Le premier
danger de la politique du logement
a trait aux frustrations créées
et aux anticipations déçues des
citoyens. Le programme ne comprend
aucun horizon d’équilibre et
chaque année le fossé se creuse
davantage. Pour chaque logement
distribué à un nécessiteux, 5 autres
ne pourront jamais prétendre à un
habitat. Le citoyen qui est maintenant
logé grâce aux efforts de
l’Etat oubliera vite le privilège dont
il jouit : c’est un acquis. Il développera
une mentalité d’assisté et
revendiquera des soins gratuits,
une éducation gratuite de qualité
pour tous ses enfants et une disponibilité
des produits de consommation
à des prix abordables sans
jamais se poser la question «...mais
qu’ai-je accompli pour mériter cela
?» Il ne pardonnera aucune
défaillance dans les domaines cités.
Un Etat qui délivre un logement
gratuit ne sait pas qu’il contribue à
pervertir les citoyens dans leur
manière d’être et d’agir. Il faut
aider les pauvres à se loger. Mais il
y a des conditions à ceci : les assister
à payer un loyer d’une habitation
décente mais de qualité réduite
pour ne pas être convoitée par
le segment moyen de gamme.
Revenons aux cinq autres citoyens
qui n’auront jamais de logement.
Leur frustration et leur mécontentement
sont immenses. Ils n’acceptent
jamais le système de répartition
même s’il était effectué par
des anges. Ils seront une catégorie
de citoyens mélancoliques, anxieux
et sujets à toute influence dans
laquelle ils perçoivent ne serait-ce
qu’une lueur d’espoir : tout simplement
parce qu’ils considèrent
que leur échec est causé par l’Etat.
Les travailleurs boliviens et marocains
peuvent vivre en paix avec
eux-mêmes dans un taudis. Ils
intériorisent les échecs. Ils savent
que pour accéder à un habitat
plus décent, ils doivent consentir
plus d’efforts (travailler les weekends)
acheter des matériaux de
construction et ériger une demeure
plus agréable qu’ils pourront
revendre s’ils accédaient à un standing
HLM dans le future. Chez
nous, nous avons une politique de
l’habitat qui produit des frustrations
et de la misère. Elle n’a aucun
horizon d’équilibre. Elle continue
de promettre ce qu’elle ne peut
livrer. La réalité des chiffres est plus
têtue que les affirmations exagérément
optimistes de nos bureaucrates.
Le second facteur pose le problème
de l’équité à travers la politique
de logement. Quelle est la justification
par laquelle on fait payer
à un ingénieur qui dispose d’un
revenu net de 30 000 DA/mois,
des taxes qui seront utilisées pour
financer et fournir gratuitement un
logement à un citoyen qui a un
revenu de 15 000 DA par exemple.
L’ingénieur peut se retrouver avec
cette catégorie d’Algériens qui
n’auront jamais droit au logement.
Mais quand même, il ne pourra
pas éviter qu’une partie de ses
taxes aient été utilisées pour financer
et octroyer des logements gratuits
à des concitoyens. Il paye lui
même à autrui ce qu’il n’aura
jamais l’avantage d’avoir.
Le troisième et dernier aspect de la
politique de l’habitat est lié au système
d’incitation au travail.
Considérons un citoyen qui dispose
d’un revenu de 15 000 DA/mois
et un second qui a droit à
30 000 DA/mois. Par l’acquisition
d’un logement gratuit (le loyer
étant dérisoire) alors que le second
le finance entièrement, le revenu
du premier sera automatiquement
en réalité de loin supérieur à celui
du second qui devra désormais
consacrer au moins la moitié de
son salaire au paiement de son
habitat. Voilà une distorsion supplémentaire
introduite dans le système
des motivations internes déjà
fondamentalement déstructurées.
Nous avons livré un échantillon de
zones d’ombre liées à la problématique
de l’habitat. Il en reste
d’autres. Nous avons seulement
voulu attirer l’attention des décideurs
sur les dangers potentiels
d’une situation précaire liée à une
politique inappropriée. Nous
n’avons pas été exhaustifs. Il nous
reste à préconiser une alternative
de politique de l’habitat. C’est ce
que nous allons faire, brièvement.
SOLUTIONS ALTERNATIVES
En premier lieu, nous devons synchroniser
les structures de l’offre et
de la demande de logement de
sorte que l’une trouve son prolongement
naturel et son corollaire
dans l’autre sans créer les injustices,
les distorsions et les frustrations
engendrées par la politique
actuelle. Nous devons garder en
vue que grossièrement, il existe 3
types de logement haut de
gamme (villas), moyens de gamme
(appartements HLM) et bas de
gamme (type préfabriqué ou auto
construction). Il est évident que
chaque catégorie comprend de
nombreuses variétés, mais nous
n’avons point besoin d’approfondir
ces détails, dans ce contexte.
Une saine politique de logement
consiste à taxer le haut de gamme
beaucoup plus fortement que le
moyen de gamme, à travers les
transactions de terrains, les permis
de construire et les matériaux de
construction qui lui sont spécifiques.
Ainsi, nous pouvons organiser
une solidarité effective vis-à-vis
du bas de gamme (auto-construction
ou préfabriqué). Les logements
haut de gamme seront
donc octroyés par les mécanismes
de marché aux citoyens dotés de
revenus supérieurs (hommes d’affaires
surtout). Les logements
moyens de gamme seront vendus
au prix du marché plus une taxe
légère de solidarité pour aider le
bas de gamme. Cette catégorie de
logement sera probablement
acquise par les fonctionnaires
dotés de revenus moyens. Le système
financier peut organiser
comme dans tous les pays, des
prêts pour financer les acquisitions.
La dernière décision de l’Etat d’octroyer
des prêts à taux bonifiés aux
fonctionnaires est très judicieuse. Il
demeure maintenant que notre
préoccupation essentielle consiste
à concevoir des types de logement
décents mais peu coûteux qui
pourront être rétrocédés à nos
citoyens les plus démunis. C’est
précisément dans ce domaine-là
que le génie de nos spécialistes en
construction sera utilisé. Nos ingénieurs
auront à concevoir des prototypes
de maisons adaptées à nos
réalités, pas coûteux et susceptibles
d’être construits en très grand
nombre. Techniquement, il y a des
types d’habitation qui coûtent
moins de 1 000 000 DA. On peut
encourager leurs constructions et
aider nos citoyens les plus démunis
à payer les loyers de ces habitations.
On a l’avantage que ces
logements ne seront pas convoités
par les personnes qui disposent
d’un revenu moyen. Nos logements
sociaux actuels font rêver
même les cadres des pays développés.
Il y a lieu d’intégrer la solution
dans le contexte d’un aménagement
du territoire : opérer une
redistribution de la population.
Parallèlement à ceci une politique
d’encouragement et de promotion
de l’auto-construction sera vigoureusement
mise en oeuvre. Les
types de logements concernés et
aidés par l’Etat à travers une solidarité
matérialisée par la structure
des taxes du système de l’habitat
seront le bas de gamme, donc non
convoités par les classes moyennes
et supérieures. Ils peuvent être
construits en plus grand nombre
parce que peu coûteux et nécessitent
moins d’heures de travail spécialisé.
Les bénéficiaires doivent
également consentir à un minimum
d’effort financier, sauf peutêtre
pour les citoyens totalement
dépourvus de ressources. De nombreux
pays disposent d’une
pareille politique. De nombreuses
modalités demeurent. Nous ne
pouvons détailler les aspects techniques
et opérationnelles mais
nous avons seulement évoqué les
grands axes d’une alternative de
politique de l’habitat.
Une pareille politique est plus
équitable. Les nantis et les citoyens
à revenus moyens contribuent à
payer aux plus démunis des habitats
décents, mais pas des types de
logement qu’ils convoitent euxmêmes
et qu’ils n’auront peut-être
jamais la chance d’habiter. En
second lieu, vouloir régler le problème
de l’habitat pour tous les
Algériens avec les logements types
HLM est un leurre. Nous ne le
pourrons jamais. Cette politique
contribue tout simplement à entretenir
des illusions impossibles et en
fin de compte accroître l’amertume,
les frustrations, la haine et le
scepticisme des citoyens vis-à-vis
des pouvoirs publics. Une politique
honnête, ferme et concertée
consiste à dire «...nous n’avons pas
les capacités productives pour
offrir un logement moyen de
gamme à tous les Algériens, mais
nous pouvons aider nos citoyens
les plus démunis à payer le loyer
d’un habitat décent type autoconstruction
ou préfabriqué». Les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et
la France n’ont pas de politique de
logement systématique de moyen
de gamme pour leurs citoyens. Les
logements des cadres français sont
plus étroits que ce qu’on octroie
gratuitement en Algérie comme
logement social. La politique inappropriée
de logement que l’on a
déjà menée jusqu’à aujourd’hui a
été une des sources les plus importantes
des mécontentements et
des explosions sociales. Persister
dans l’erreur conduira inéluctablement
à d’autres remous. Personne
ne pourra éviter les dérapages qui
suivront chaque affichage des listes
des bénéficiaires de logement.
Nous aurons à restructurer l’offre.
Notre appareil de production sera
reconverti en faveur de types de
construction plus facile à ériger,
moins coûteux et dont une partie
des charges sera assurée par les
pouvoirs publics.
Nous avons seulement fourni quelques
orientations globales pour un
problème complexe, qui a déjà
occasionné de nombreux dégâts
sociaux, économiques et politiques
mais qui devient davantage explosif
avec chaque période de temps
qui s’écoule. Nous sommes
conscients que de nombreux problèmes
subsistent : comment communiquer
avec les citoyens pour
qu’ils acceptent les nouvelles
modalités demeure un défi. Mais
nous avons proposé un programme
réaliste, équitable et qui ne
déstructure pas le système de
motivation. Il a le mérite de contenir
un horizon d’équilibre. Il ne
promet pas ce qu’il ne peut pas
délivrer. Mais de nombreux problèmes
de détails restent à régler.
A. L.
PH. D. en sciences de gestion
El watan du 03 05 2010.
Cette question est au
centre de la politique
sociale du pays. Elle
empêche aussi bien
les citoyens que les
responsables de dormir.
Chacun y va de ses réflexions.
Le plus souvent on entend des
commentaires suivants :
- Il faut construire un million de
logements tous les cinq ans pour
prétendre résoudre le problème.
- On ne maîtrisera la situation que
lorsque on n’octroiera des habitations
qu’aux personnes nécessiteuses.
COMPLEXITÉ DU PROBLÈME
Lorsqu’on est en face d’un problème
d’une telle ampleur, il y a de
quoi être modeste. On ne doit pas
prendre ses préjugés pour des
vérités. Alors que faire ? Il faut examiner
les statistiques, les schémas
scientifiques et les expériences de
pays qui ont pu juguler, en grande
partie, ce phénomène. Par la suite,
il y a lieu d’essayer de profiter de
ce catalogue de possibilités pour
en extraire quelques leçons pertinentes
à notre contexte économique
et politique. Nous allons examiner
les statistiques d’abord
avant d’analyser les comportements
humains liés à la question.
Nous allons donc examiner l’offre
et la demande.
Commençons par cette dernière.
Nous avons 350 000 nouveaux
mariages chaque année. Ce sont
donc des besoins nouveaux. Pour
un parc de logements de la taille
de notre pays, vu la vétusté des
équipements, nous aurons, selon
de nombreux experts, un minimum
de 290 000 habitations qui
deviennent inhabitables. Par
ailleurs, nous avons un déficit
approximatif de 3 000 000 de
logements. Les décès et phénomènes
de départ libèrent quelque
90 000 logements par an. Nous ne
comptabilisons pas les changements
de domicile, les mutations
et autres qui accentuent la demande.
D’après ces données, nous
devons construire 700 000 logements
par an pendant vingt ans
pour espérer régler le problème.
On peut se quereller indéfiniment
avec des chiffres, mais on arrivera
à 15 ou 20% de plus ou de moins
au maximum vu l’imprécision des
données. On peut également
diverger sur le nombre de logements
qu’il est possible de
construire en Algérie en mobilisant
surtout les capacités nationales.
Mes discussions avec les experts
sur cet aspect ont été frustrantes,
car les estimations ont varié de
80 000 à 220 000. Quel qu’il en
soit, le problème est là : la réalité
est têtue. Avec les politiques économiques
suivies depuis quarante
ans, le problème devient de plus
en plus explosif et il est impossible
de le résoudre avec les pratiques
actuelles malgré toutes les bonnes
volontés et les énormes moyens
mobilisés.
Avant de préconiser des alternatives
de solutions, voyons tout
d’abord les causes avancées
comme explication «rationnelle»
au problème du logement.
AUX ORIGINES DE LA CRISE
La première a trait à la distribution
; à en écouter certains, une répartition
plus équitable des logements
aurait solutionné le problème. Ne
constatons-nous pas des milliers de
logements vacants ou distribués à
des nantis alors que de nombreuses
familles sont entassées dans des
bidonvilles et souffrent sans
espoir ? Cette explication est tellement
chargée et décrit des situations
si visibles à tout citoyen
moyen qu’on y adhère rapidement
avec tout son coeur. Mais la réalité
est têtue. Le phénomène est réel.
Mais il est loin de constituer le
coeur du problème. Soyons naïfs et
supposons que les Algériens ont
découvert une recette miracle de
distribution équitable d’un bien
(logement) sans utiliser les mécanismes
de marché (soit dit en passant,
il faut vite le breveter car le
reste de l’humanité en a grandement
besoin). Il reste quand même
l’écart entre offre et demande qui
se situe à plus de 500 000 unités
par an. Sans nul doute qu’une
répartition plus équitable aurait
allégé le problème. Peut-être que
50% des attributions sont fantaisistes
et auraient dû servir à alléger
les détresses des citoyens les plus
nécessiteux. Nous aurions ainsi
soulagé les souffrances de 100 000
citoyens par an qui sont vraiment
dans le besoin. Mais il reste que la
vaste majorité du problème
demeure et que nous avons seulement
allégé très partiellement, au
lieu de régler le problème.
Notre seconde observation est
celle de l’économiste. Les principes
économiques enseignent que dès
qu’un bien ou un service est soustrait
à la loi de l’offre et de la
demande, il réintègre le marché
des transactions politico-administratives.
Ce sont des tractations de
coulisses, le trafic d’influence, le
népotisme et le favoritisme qui
prendront inévitablement le relais.
Créer des commissions et définir
des critères d’accès au logement
social ne régleront sûrement pas le
problème. Dès lors que les demandeurs
sont de loin supérieurs au
nombre d’appartements disponibles,
ce seront les citoyens les plus
proches des centres de décision ou
qui octroient ou sont capables
d’offrir des faveurs en retour qui
bénéficieront en priorité de ces
biens. Aucun pays n’a pu trouver
le moyen d’empêcher le marché
du trafic d’influence de se substituer
au marché économique.
La problématique du logement
réside dans une offre peu élastique
aux multiples incitations envisagées
et une demande ou le segment
non solvable (logement
social) attire les préférences des
décideurs administratifs et politiques.
Il y a un dysfonctionnement
dû à la faiblesse des mécanismes
d’incitation du côté de l’offre et un
pouvoir d’achat relativement bas
par rapport à la structure des
moyens de production. La plupart
des entreprises nationales sont
équipées pour construire principalement
des habitations de standing
moyen (logement HLM), alors que
la demande est principalement
constituée des sans revenus et des
familles qui disposent de salaires
assez bas : il y a un grand
déphasage entre la structure de
l’offre et celle de la demande.
Cette observation nous sera capitale
dans les recommandations qui
suivront, car toute politique de
l’habitat consistera nécessairement
à la mise en place d’une adéquation
plus judicieuse entre les structures
de l’offre et de la demande.
Eu égard à toutes ces considérations,
faut-il abandonner le logement
social ? Quelle politique de
l’habitat devrons-nous
poursuivre ?
POLITIQUE DE L’ASSISTANAT
Les pouvoirs publics s’obstinent à
vouloir préserver les choix sociaux
sans pour cela opérer des mutations
profondes au sein des structures
de l’offre et de la demande.
Nous pouvons prévoir sans peine
les conséquences de pareilles
orientations : le déséquilibre ira
grandissant. N’oublions pas la réalité
statistique. Une politique de
l’habitat qui continue de traiter les
symptômes et d’alléger le fardeau
sans viser un horizon d’équilibre
aboutira à une impasse. Le premier
danger de la politique du logement
a trait aux frustrations créées
et aux anticipations déçues des
citoyens. Le programme ne comprend
aucun horizon d’équilibre et
chaque année le fossé se creuse
davantage. Pour chaque logement
distribué à un nécessiteux, 5 autres
ne pourront jamais prétendre à un
habitat. Le citoyen qui est maintenant
logé grâce aux efforts de
l’Etat oubliera vite le privilège dont
il jouit : c’est un acquis. Il développera
une mentalité d’assisté et
revendiquera des soins gratuits,
une éducation gratuite de qualité
pour tous ses enfants et une disponibilité
des produits de consommation
à des prix abordables sans
jamais se poser la question «...mais
qu’ai-je accompli pour mériter cela
?» Il ne pardonnera aucune
défaillance dans les domaines cités.
Un Etat qui délivre un logement
gratuit ne sait pas qu’il contribue à
pervertir les citoyens dans leur
manière d’être et d’agir. Il faut
aider les pauvres à se loger. Mais il
y a des conditions à ceci : les assister
à payer un loyer d’une habitation
décente mais de qualité réduite
pour ne pas être convoitée par
le segment moyen de gamme.
Revenons aux cinq autres citoyens
qui n’auront jamais de logement.
Leur frustration et leur mécontentement
sont immenses. Ils n’acceptent
jamais le système de répartition
même s’il était effectué par
des anges. Ils seront une catégorie
de citoyens mélancoliques, anxieux
et sujets à toute influence dans
laquelle ils perçoivent ne serait-ce
qu’une lueur d’espoir : tout simplement
parce qu’ils considèrent
que leur échec est causé par l’Etat.
Les travailleurs boliviens et marocains
peuvent vivre en paix avec
eux-mêmes dans un taudis. Ils
intériorisent les échecs. Ils savent
que pour accéder à un habitat
plus décent, ils doivent consentir
plus d’efforts (travailler les weekends)
acheter des matériaux de
construction et ériger une demeure
plus agréable qu’ils pourront
revendre s’ils accédaient à un standing
HLM dans le future. Chez
nous, nous avons une politique de
l’habitat qui produit des frustrations
et de la misère. Elle n’a aucun
horizon d’équilibre. Elle continue
de promettre ce qu’elle ne peut
livrer. La réalité des chiffres est plus
têtue que les affirmations exagérément
optimistes de nos bureaucrates.
Le second facteur pose le problème
de l’équité à travers la politique
de logement. Quelle est la justification
par laquelle on fait payer
à un ingénieur qui dispose d’un
revenu net de 30 000 DA/mois,
des taxes qui seront utilisées pour
financer et fournir gratuitement un
logement à un citoyen qui a un
revenu de 15 000 DA par exemple.
L’ingénieur peut se retrouver avec
cette catégorie d’Algériens qui
n’auront jamais droit au logement.
Mais quand même, il ne pourra
pas éviter qu’une partie de ses
taxes aient été utilisées pour financer
et octroyer des logements gratuits
à des concitoyens. Il paye lui
même à autrui ce qu’il n’aura
jamais l’avantage d’avoir.
Le troisième et dernier aspect de la
politique de l’habitat est lié au système
d’incitation au travail.
Considérons un citoyen qui dispose
d’un revenu de 15 000 DA/mois
et un second qui a droit à
30 000 DA/mois. Par l’acquisition
d’un logement gratuit (le loyer
étant dérisoire) alors que le second
le finance entièrement, le revenu
du premier sera automatiquement
en réalité de loin supérieur à celui
du second qui devra désormais
consacrer au moins la moitié de
son salaire au paiement de son
habitat. Voilà une distorsion supplémentaire
introduite dans le système
des motivations internes déjà
fondamentalement déstructurées.
Nous avons livré un échantillon de
zones d’ombre liées à la problématique
de l’habitat. Il en reste
d’autres. Nous avons seulement
voulu attirer l’attention des décideurs
sur les dangers potentiels
d’une situation précaire liée à une
politique inappropriée. Nous
n’avons pas été exhaustifs. Il nous
reste à préconiser une alternative
de politique de l’habitat. C’est ce
que nous allons faire, brièvement.
SOLUTIONS ALTERNATIVES
En premier lieu, nous devons synchroniser
les structures de l’offre et
de la demande de logement de
sorte que l’une trouve son prolongement
naturel et son corollaire
dans l’autre sans créer les injustices,
les distorsions et les frustrations
engendrées par la politique
actuelle. Nous devons garder en
vue que grossièrement, il existe 3
types de logement haut de
gamme (villas), moyens de gamme
(appartements HLM) et bas de
gamme (type préfabriqué ou auto
construction). Il est évident que
chaque catégorie comprend de
nombreuses variétés, mais nous
n’avons point besoin d’approfondir
ces détails, dans ce contexte.
Une saine politique de logement
consiste à taxer le haut de gamme
beaucoup plus fortement que le
moyen de gamme, à travers les
transactions de terrains, les permis
de construire et les matériaux de
construction qui lui sont spécifiques.
Ainsi, nous pouvons organiser
une solidarité effective vis-à-vis
du bas de gamme (auto-construction
ou préfabriqué). Les logements
haut de gamme seront
donc octroyés par les mécanismes
de marché aux citoyens dotés de
revenus supérieurs (hommes d’affaires
surtout). Les logements
moyens de gamme seront vendus
au prix du marché plus une taxe
légère de solidarité pour aider le
bas de gamme. Cette catégorie de
logement sera probablement
acquise par les fonctionnaires
dotés de revenus moyens. Le système
financier peut organiser
comme dans tous les pays, des
prêts pour financer les acquisitions.
La dernière décision de l’Etat d’octroyer
des prêts à taux bonifiés aux
fonctionnaires est très judicieuse. Il
demeure maintenant que notre
préoccupation essentielle consiste
à concevoir des types de logement
décents mais peu coûteux qui
pourront être rétrocédés à nos
citoyens les plus démunis. C’est
précisément dans ce domaine-là
que le génie de nos spécialistes en
construction sera utilisé. Nos ingénieurs
auront à concevoir des prototypes
de maisons adaptées à nos
réalités, pas coûteux et susceptibles
d’être construits en très grand
nombre. Techniquement, il y a des
types d’habitation qui coûtent
moins de 1 000 000 DA. On peut
encourager leurs constructions et
aider nos citoyens les plus démunis
à payer les loyers de ces habitations.
On a l’avantage que ces
logements ne seront pas convoités
par les personnes qui disposent
d’un revenu moyen. Nos logements
sociaux actuels font rêver
même les cadres des pays développés.
Il y a lieu d’intégrer la solution
dans le contexte d’un aménagement
du territoire : opérer une
redistribution de la population.
Parallèlement à ceci une politique
d’encouragement et de promotion
de l’auto-construction sera vigoureusement
mise en oeuvre. Les
types de logements concernés et
aidés par l’Etat à travers une solidarité
matérialisée par la structure
des taxes du système de l’habitat
seront le bas de gamme, donc non
convoités par les classes moyennes
et supérieures. Ils peuvent être
construits en plus grand nombre
parce que peu coûteux et nécessitent
moins d’heures de travail spécialisé.
Les bénéficiaires doivent
également consentir à un minimum
d’effort financier, sauf peutêtre
pour les citoyens totalement
dépourvus de ressources. De nombreux
pays disposent d’une
pareille politique. De nombreuses
modalités demeurent. Nous ne
pouvons détailler les aspects techniques
et opérationnelles mais
nous avons seulement évoqué les
grands axes d’une alternative de
politique de l’habitat.
Une pareille politique est plus
équitable. Les nantis et les citoyens
à revenus moyens contribuent à
payer aux plus démunis des habitats
décents, mais pas des types de
logement qu’ils convoitent euxmêmes
et qu’ils n’auront peut-être
jamais la chance d’habiter. En
second lieu, vouloir régler le problème
de l’habitat pour tous les
Algériens avec les logements types
HLM est un leurre. Nous ne le
pourrons jamais. Cette politique
contribue tout simplement à entretenir
des illusions impossibles et en
fin de compte accroître l’amertume,
les frustrations, la haine et le
scepticisme des citoyens vis-à-vis
des pouvoirs publics. Une politique
honnête, ferme et concertée
consiste à dire «...nous n’avons pas
les capacités productives pour
offrir un logement moyen de
gamme à tous les Algériens, mais
nous pouvons aider nos citoyens
les plus démunis à payer le loyer
d’un habitat décent type autoconstruction
ou préfabriqué». Les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et
la France n’ont pas de politique de
logement systématique de moyen
de gamme pour leurs citoyens. Les
logements des cadres français sont
plus étroits que ce qu’on octroie
gratuitement en Algérie comme
logement social. La politique inappropriée
de logement que l’on a
déjà menée jusqu’à aujourd’hui a
été une des sources les plus importantes
des mécontentements et
des explosions sociales. Persister
dans l’erreur conduira inéluctablement
à d’autres remous. Personne
ne pourra éviter les dérapages qui
suivront chaque affichage des listes
des bénéficiaires de logement.
Nous aurons à restructurer l’offre.
Notre appareil de production sera
reconverti en faveur de types de
construction plus facile à ériger,
moins coûteux et dont une partie
des charges sera assurée par les
pouvoirs publics.
Nous avons seulement fourni quelques
orientations globales pour un
problème complexe, qui a déjà
occasionné de nombreux dégâts
sociaux, économiques et politiques
mais qui devient davantage explosif
avec chaque période de temps
qui s’écoule. Nous sommes
conscients que de nombreux problèmes
subsistent : comment communiquer
avec les citoyens pour
qu’ils acceptent les nouvelles
modalités demeure un défi. Mais
nous avons proposé un programme
réaliste, équitable et qui ne
déstructure pas le système de
motivation. Il a le mérite de contenir
un horizon d’équilibre. Il ne
promet pas ce qu’il ne peut pas
délivrer. Mais de nombreux problèmes
de détails restent à régler.
A. L.
PH. D. en sciences de gestion
El watan du 03 05 2010.
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